Aujourd’hui, presque partout, celui qui défend aujourd’hui le droit de porter des armes est considéré au mieux comme un Martien, au pire comme un paria. Le droit de porter des armes apparaît à presque tout le monde comme une incongruité, voire un danger public. Je vais soutenir que la vérité est aux antipodes de ces idées reçues, que la raison et l’histoire font de ce droit l’un des plus importants à défendre.
Petite question de terminologie d’abord. Il y a une différence entre le droit de porter des armes et le droit de simplement en posséder. Le premier implique le second, mais l’inverse n’est pas vrai – encore que le droit de posséder des armes requiert au moins celui de les transporter dans certaines circonstances, par exemple quand on déménage. Dans la plupart des pays, nous sommes aujourd’hui bien loin même seulement droit de posséder des armes, qui est réglementé, contrôlé, quand il n’est pas, de jure ou de facto, supprimé. J’emploie quand même l’expression « droit de porter des armes » pour deux raisons : premièrement, en défendant ce droit dans son sens le plus général, je fournis simultanément des arguments pour le droit plus restreint d’en posséder ; deuxièmement, l’expression est un raccourci commode pour toutes les interprétations du droit de porter ou de posséder des armes. Ceux qui voient d’un bon œil certains contrôles du port d’armes devraient au moins trouver que mes arguments justifient le droit des simples citoyens de posséder des armes.
1 Une liberté traditionnelle
Il y a à peine un siècle, soit à la fin du dix-neuvième, plusieurs pays européens ne connaissaient aucune restriction au droit de porter des armes : l’Angleterre, la Norvège, la Suède, le Danemark, la Suisse, le Montenegro, la Serbie. En Allemagne, seul était prohibé le port d’armes dans des réunions publiques. En France, jusqu’en 1910, n’était interdit que le port d’armes cachées, restriction souvent interprétée de manière libérale[1]. Le port d’armes était plus ou moins sévèrement réglementé dans les autres pays, mais la réglementation était difficile à appliquée et peu respectée. Il semble que dans aucun pays civilisé, l’État ne limitât la simple possession des armes[2].
Jusqu’au début du 20e siècle, l’Angleterre fut sans contredit le pays le plus libéral. C’est là qu’avait été formalisé, à partir de Bill of Rights de 1689, le droit du simple citoyen de posséder et de porter des armes, que les constituants américains, cent ans plus tard, inscriront dans leur propre Bill of Rights[3]. On trouve une illustration fascinante du droit anglais de porter des armes dans les événements du 23 janvier 1909 à Tottenham, un quartier de Londres. Ce jour-là, deux Lettons armés essayèrent de voler l’argent de la paye d’une entreprise locale. Ils furent pris en chasse par des policiers et de simples citoyens, une chasse épique qui se solda par la mort d’un policier non armé et d’un enfant, tombés sous les balles des bandits, sans compter deux douzaines de blessés. Les policiers londoniens prirent du temps à retrouver la clé de l’armoire où étaient rangées leurs armes. Entre-temps, de simples Londoniens, dont il n’était pas rare qu’ils se promenaient avec une arme dissimulée comme ils en avaient le droit, prêtèrent au moins quatre revolvers aux policiers[4]. Cernés par leurs poursuivants, les deux bandits finirent par se suicider.
Crée en 1844, la police de la ville de New-York interdit à ses agents de porter des armes jusqu’à la fin des années 1860, et ensuite de porter des armes visibles jusqu’au début du 20e siècle. Comme il n’y avait à l’époque aucune réglementation du droit de porter des armes à New York, des policiers sans armes côtoyaient des citoyens éventuellement armés. Ce qui semblerait aujourd’hui une inconcevable anomalie était considéré comme dans la nature des choses, comme exprimant une relation normale entre le citoyen et son serviteur.
Mais les choses avaient déjà commencé à changer et le changement s’accéléra après la guerre civile (1860-1865), de sorte que, à l’aube du 20e siècle, les armes étaient, dans certaines régions de ce pays, plus contrôlés que dans d’autres pays libres. Les États du Sud avaient introduits des contrôles allant souvent jusqu’à la prohibition des armes dissimulées, notamment pour empêcher les esclaves affranchis de porter des armes[5]. Puis, en 1911, New York devint la première grande ville à interdire les armes de poing, imitée en cela par d’autres grandes villes plus tard dans le siècle – notamment Washington en 1975. Les journalistes européens qui s’efforcent de présenter les États-Unis comme le repoussoir absolu accusent plusieurs décennies de retard – et à peu près deux siècles de retard en ce qui concerne une journaliste du Monde qui, en 1992, écrivait à propos d’une ville de l’Illinois : « En dépit des pressions des protestataires, il fut décidé […] que Morton-Grove serait la première cité des États-Unis à interdire non seulement la vente mais aussi la possession d’armes de poing sur son territoire »[6].
En 1934, le gouvernement fédéral entrait dans la ronde avec divers contrôles, renforcés en 1968, qui comprennent l’obligation d’un contrôle des antécédents judiciaires de tout acheteur d’une arme auprès d’un commerçant et l’interdiction à toute personne reconnue coupable d’un crime de manipuler une arme à feu. On ne s’étonne pas de lire des histoires comme la suivante, tirée d’un récent article du Charlotte Observer, un journal de Caroline du Nord : un certain Gary Don Hart, condamné pour possession de marijuana en 1986, alors qu’il avait 21 ans, est interdit d’armes, alors qu’il voudrait bien aller chasser pour la dernière fois avec son vieux père[7].
On estime à plusieurs milliers le nombre de textes qui, à tous les niveaux d’administration publique, restreignaient le droit de porter armes[8]. La liberté totale des armes en Amérique relève du mythe.
Que les États-Unis aient connu bien des restrictions du droit de porter des armes, parfois même avant les autres pays libres, ne doit pas occulter le fait qu’il y a quelques décennies, une grande partie des Américains comptaient ce droit parmi leurs libertés traditionnelles ; et que, certains États et communes exceptés, c’est quand même, sans doute, dans ce pays que le droit de porter des armes a le mieux résisté aux assauts de ceux qui veulent transformer tous les droits traditionnels en privilèges révocables.
Au Canada, jusqu’à l’imposition d’un permis de port d’armes en 1892, les citoyens jouissaient, à la grandeur du pays, d’une liberté parfois plus grande que dans certaines parties des États-Unis. La loi canadienne continuait quand même de permettre le port d’arme sans autorisation à celui qui avait des motifs raisonnable de craindre pour sa vie ou ses biens. Puis, l’obligation d’un permis de port d’arme fut généralisée en 1913. Après quelques péripéties légales, ce fut, en 1934, l’enregistrement de toutes les armes de poing[9]. À partir de la fin de 1968 et surtout de 1977, les contrôles s’alourdirent fortement, jusqu’au point où le droit de porter des armes a été transformé en un privilège conditionnel et arbitraire d’en posséder verrouillées chez soi. Depuis 1996, seulement pour conserver ses armes, il faut un permis renouvelable tous les cinq ans et qui force le demandeur à fournir des informations indiscrètes sur sa vie privée. La question 6(d) du formulaire canadien de renouvellement du permis de possession d’armes demande : « Au cours des deux (2) dernières années, avez-vous vécu un divorce, une séparation ou une rupture d’une relation importante, ou encore avez-vous perdu votre emploi ou fait faillite ? ». Une réponse affirmative entraînera d’autres questions[10]. Et ce n’est qu’un exemple. De restriction en restriction, les Canadiens, un peu naïfs devant l’État, ne virent pas que leur liberté traditionnelle était supprimée.
Il y a à peine un siècle, donc, le droit des simples citoyens de porter des armes était reconnu, en pratique, dans tous les pays civilisés. Ce droit a parfois subsisté, même mutilé, jusque tard dans le 20e siècle. Au lieu d’être le privilège qu’elle est devenue, la liberté des simples citoyens de posséder et de porter des armes était un droit dont les détenteurs se seraient étonnés qu’il soit jamais radicalement remis en cause.
2 Armes et crimes
L’idée reçue par excellence veut que la simple disponibilité des armes – et, a fortiori, la reconnaissance du droit de porter des armes – soit un facteur causal, une condition nécessaire, de la criminalité violente. Or, cette corrélation entre crime et disponibilité des armes est bien difficile à trouver.
D’abord, dans le temps. Dans pratiquement tous les pays du monde, le dernier demi-siècle et souvent le dernier siècle se caractérisent non pas par une plus grande disponibilité des armes mais, au contraire, par des limitations croissantes à leur accessibilité. Comment expliquer que la criminalité violente ait été faible quand la liberté de porter des armes subsistait et qu’elle augmente depuis son déclin ?
Ensuite dans l’espace. L’absence de corrélation entre la disponibilité des armes et la criminalité violente se manifeste également quand on considère la situation dans différents pays. Par exemple, la Norvège, l’Allemagne et la Suisse affichent des taux d’armes parmi les plus élevés au monde et des taux d’homicide parmi les plus bas (moins de 1%) ; au contraire, la population possède peu d’armes en Russie et au Luxembourg et, pourtant, les taux d’homicides y sont beaucoup plus élevés qu’aux États-Unis – presque quatre fois plus élevés dans le cas de la Russie[11].
En vérité, on dirait qu’il y a, dans l’espace comme dans le temps, une corrélation négative entre le nombre d’armes entre les mains de la population et le taux de criminalité. (Notez que, comme dans la littérature criminologique, je prends le taux d’homicide comme mesure usuelle du taux de criminalité.)
De même, la corrélation n’est pas évidente entre les régions d’un même pays. Aux États-Unis et en Angleterre, par exemple, il y a moins de crimes violents dans les régions (souvent rurales) où les armes sont plus nombreuses[12]. Au Canada, où la même législation sur les armes s’applique à la grandeur du pays, le taux d’homicide varie de 0,72 par 100 000 habitants à l’Île-du-Prince-Édouard, un taux inférieur aux taux européens, à 4,06 en Saskatchewan, ce qui n’est pas très loin du taux américain de 5,69[13].
L’absence de la corrélation postulée entre la disponibilité des armes et la criminalité violente est particulièrement frappante aux États-Unis. Entre le début des années 1950 et le milieu des années 1970, alors que les contrôles des armes à feu s’alourdissaient constamment dans ce pays, la criminalité violente a bondi : le taux d’homicide a augmenté de moins de 5 pour 100 000 habitants à quelque 10 pour 100 000. On observe une évolution analogue dans plusieurs pays. On observe une évolution analogue dans plusieurs pays.
Un autre phénomène, propre aux États-Unis, est particulièrement intéressant ici. Dans ce pays, le droit de porter des armes amorçait une remontée vers la fin des années 1970. En effet, durant les deux dernières décennies du 20e siècle, plus de 25 états américains ont adoptés des lois obligeant la police à émettre un permis de port d’armes à tout citoyen éligible, de sorte qu’aujourd’hui, 40 des 50 états disposent d’une législation de ce genre, et que quelque 3,5 millions d’Américains ont le droit de porter une arme dissimulée dans la rue, dans leur voiture et dans la plupart des commerces où ils se rendent. Or, parallèlement à cette remontée du droit de porter des armes, la criminalité violente régressait[14]. De près de 10 pour 100 000 habitants qu’il était, le taux d’homicide américain est passé au-dessous de 6% en 2006.
Bref, la criminalité violente aux États-Unis était faible quand les armes étaient plus accessibles il y a un demi-siècle ; et son évolution depuis a suivi les atteintes au droit de porter des armes.
Notons que la renaissance américaine du droit de porter des armes est limitée et bien réglementée. Ceux qui veulent en profiter ne doivent pas avoir de casier judiciaire, ce qui représente un obstacle pour une partie non négligeable de la population étant donné notamment la criminalisation à grande échelle qu’a opérée la répression des drogues. En fait, la loi fédérale interdit la possession des armes à quiconque consomme quelque drogue que ce soit, en dehors de toute condamnation judiciaire. Si le nombre d’armes a beaucoup augmenté, le nombre de propriétaires a diminué au cours du dernier quart de siècle[15]. Pour obtenir un port d’armes, il faut montrer patte blanche et, dans certains États, fournir ses empreintes digitales. L’État américain n’a donc pas tout à fait échappé à la tentation étatique habituelle : réserver les armes aux favoris du régime. Reste qu’obtenir un permis de port d’armes aux États-Unis est plus facile que partout ailleurs. En fait, c’est plus facile que d’obtenir un simple permis de conserver des armes longues au Canada, et que je ne crois pas qu’aucun état américain pose aux candidats aux port d’armes des questions aussi indiscrètes et humiliantes que celles de l’État canadien.
Le taux moyen d’homicide de 5,7 pour 100 000 habitants aux États-Unis ne doit pas occulter la diversité qui se cache sous cette moyenne. Si la criminalité violente est plus élevée aux États-Unis que presque tous les pays développés, elle est, dans certains États, aussi basse qu’au Canada ou en Europe. Le taux d’homicide par 100 000 habitants varie ainsi de 1,0 au New Hampshire, un taux comparable aux plus bas taux européens, à 29,1 dans le District de Columbia, siège de la capitale fédérale, taux qui dépasse celui de Russie[16]. Or, le New Hampshire est l’un des États où le droit de porter des armes a été le moins entamé alors que, au contraire, la réglementation des armes à Washington est généralement plus sévère que celle du Canada, avec notamment une interdiction des armes de poing depuis 1975. C’est d’ailleurs cette interdiction des armes de poing dans la capitale américaine qui fait l’objet d’une contestation constitutionnelle qui vient d’atteindre la Cour suprême.
C’est au Vermont, petit état de la Nouvelle-Angleterre limitrophe du Québec, que droit de porter des armes est le mieux respecté partout aux États-Unis. Le Vermont est le seul état où un individu, pour porter une arme dissimulée ou non, n’a jamais eu à demander quelque permis que ce soit. Les contrôles fédéraux, bien sûr, s’appliquent concernant l’acquisition des armes à feu, les individus habilités à en posséder, la réglementation du commerce inter-États, et cetera. Mais la législation du Vermont sur les armes à feu interdit peu de choses et n’impose souvent que de faibles amendes aux contrevenants[17]. Or, le taux d’homicide au Vermont est de 1,9 par 100 000 habitants, un taux moins élevé que la moyenne européenne et comparable à la médiane des pays européens[18]. Le Vermont étant un petit État qui n’enregistre que peu d’homicides, une petite augmentation de ceux-ci exerce un impact démesuré sur le taux : ainsi, l’augmentation de 8 à 12 homicides entre 2005 et 2006 l’a fait passer de 1,3 à 1,9[19].
Même si le Canada affiche un taux global d’homicide beaucoup plus bas que le taux américain (1,9 en comparaison de 5,7), écart qui se maintient peu ou prou depuis le début du 20e siècle, le portrait est différent si on compare les provinces canadiennes et les états américains le long de la frontière commune des deux pays, éliminant ainsi une partie de la variation culturelle. Dans un article de 1991 dans l’American Journal of Epidemiology, le professeur Brandon Centerwall observait que les taux d’homicide étaient souvent plus élevés du côté canadien, malgré la disponibilité beaucoup plus faible des armes de poing[20]. Il demeure vrai que le taux d’homicides au Québec (1,2) est plus élevé que celui du New Hampshire (1,0) limitrophe, et que, de la même manière, ceux du Manitoba (3,3), de la Saskatchewan (4,1) et de l’Alberta (2,8) dépassent ceux du Minnesota (2,4), du Dakota du Nord (1,3) et du Montana (1,8).
Depuis le milieu des années 1970, le taux d’homicide diminue Canada comme aux États-Unis. Si on suppose que les armes représentent un facteur causal important dans le crime, on aurait dû observer une réduction beaucoup plus forte du taux canadien que du taux américain. Or, mises en courbes sur un graphique, les séries de données sont presque identiques (compte tenu de la différence des niveaux)[21]. On a donc deux pays à culture semblable où les taux d’homicides ont suivi un cheminement analogues malgré que les contrôles des armes à feu aient été fortement intensifié chez un seul d’entre eux. De même, en Europe, les taux d’homicide ont généralement diminué depuis le milieu des années 1990, bien que certains pays comme l’Angleterre aient échappé à la tendance générale. En Europe, cependant, les autres formes de criminalité violente (voies de fait, vol avec violence ou menaces, etc.) ont fait plus que compenser la réduction des homicides[22], alors qu’elles ont également chuté aux États-Unis. La corrélation directe entre armes et crimes semble, encore une fois, niée par les faits.
Certains analystes soutiennent plutôt que la disponibilité des armes ne représente pas, dans un sens ou dans l’autre, un facteur important dans la criminalité violente : « la possession d’armes, écrivent Kates et Mauser, n’est pas pertinente, ou l’est si peu, dans l’explication des homicides »[23].
3 La légitime défense
Il ne faut pas prendre cette conclusion au pied de la lettre. Même si un grand nombre de facteurs jouent dans la criminalité, même si la disponibilité des armes n’est que l’un de ces facteurs, voire un des facteurs les moins importants, même si la corrélation semble inconsistante, il demeure que l’impact des armes peut fort bien être positif ou négatif ceteris paribus, c’est-à-dire si on maintient constants les autres facteurs qui influencent la criminalité. Et telle est la question qui nous intéresse : si les autres facteurs demeurent inchangés, un plus grand nombre d’armes aux mains des citoyens entraînera-t-il une augmentation ou une diminution de la criminalité. Il y a plusieurs raisons théoriques qui suggèrent que l’effet de la disponibilité des armes doit être de réduire le crime, même si cet effet est éventuellement peu important et occulté par d’autres causes qui jouent simultanément.
Il faut d’abord comprendre que le contrôle des armes à feu impose des coûts plus élevés à l’honnête citoyen qu’au criminel. Par coût, j’entends ce que l’on perd si on est pris, qu’il s’agisse d’argent versé en amendes, d’emprisonnement ou d’opportunités ratées pour l’avenir. Le criminel a déjà un casier judiciaire ou il en aura un pour les autres crimes qu’il commet en même temps qu’il contrevient au contrôle des armes ; par conséquent, la peine additionnelle que lui impose sa contravention au contrôle des armes est faible ou nulle. Au contraire, l’honnête citoyen, celui qui ne viole pas d’autres lois que celles qui concernent les armes à feu, risque une peine qu’il n’aurait autrement pas subie. Par conséquent, le contrôle des armes à feu exerce un effet dissuasif plus fort sur l’honnête citoyen que sur le criminel. Ce sont surtout les honnêtes gens qui seront dissuadés de posséder ou de porter des armes illégalement.
D’autre part, les armes sont utiles à l’honnête citoyen pour se défendre contre les criminels. C’est une idée qui est facile à comprendre pour quiconque s’est déjà exercé au maniement des armes. Une arme à feu, comme on disant en Amérique, est un grand égalisateur : sauf dans des cas extrêmes, elle confère le même avantage au faible et au fort, à la femme et à l’homme, au malade et au bien-portants, au vieux et au jeune. De ce facteur et de celui traité au paragraphe précédent, il s’ensuit que le contrôle des armes à feu aura pour effet d’empêcher davantage les honnêtes gens de se défendre contre les agressions que d’empêcher les criminels d’en perpétrer avec succès.
La recherche criminologique confirme qu’une arme à feu est efficace pour se défendre contre une agression. S’il est vrai que celui qui résiste les mains nues ou avec une arme de fortune court un plus grand risque d’être blessé ou tué que s’il se laisse faire, les statistiques montrent que l’emploi d’une arme à feu, tout au contraire, réduit les risques courus par l’agressé[24]. La presse américaine rapporte régulièrement des cas de simples citoyens qui ont, avec une arme à feu, résisté avec des succès à des agressions[25].
Un article publié dans le New England Journal of Medicine du 7 octobre 1993 a prétendu nier ces faits en présentant une estimation selon laquelle il y aurait 2,7 fois plus de chance d’être victime d’un homicide quand on a des armes à la maison, chiffre répété ad nauseamdepuis[26]. Don Kates et al. ont bien résumé les erreurs méthodologiques de cet article, notamment parce que les victimes de l’échantillon détenaient éventuellement des armes parce qu’elles frayaient avec le milieu criminel[27]. Pour voir comment le mode de vie peut, sans égard à la présence d’armes, influencer la probabilité d’être victime d’un homicide, on n’a qu’à constater que cette probabilité est, selon les résultats mêmes de Kellermann et al., davantage influencé par des facteurs comme consommer des drogues, être locataire, avoir auparavant été frappé ou blessé dans une agression à la maison, vivre seul, avoir déjà été arrêté[28]. Les données de Kellermann ne disent rien sur la question de savoir si les victimes de l’échantillon ont été tuées par les armes qu’ils détenaient eux-mêmes, mais si c’est ce les auteurs veulent laisser entendre : que le simple fait de détenir des armes rend une personne plus susceptible d’être assassinée.
Cette prétention ridicule est illustrée jusqu’à l’absurde par la déclaration récente d’un policier de Toronto. Voulant dissiper les craintes devant une recrudescence des homicides dans cette ville en 2007, le policier déclare : « Sauf très rares exceptions, si vous n’êtes pas dans les drogues, ne portez pas une arme ou n’avez pas un mode de vie à haut risque, les citoyens ordinaires qui vaquent à leurs occupations ne se font pas tuer »[29]. Autrement dit, même si vous n’êtes pas dans les drogues, même si vous n’avez pas un style de vie risqué, il suffit que vous portiez une arme pour attirer le malheur sur vous ; le seul fait de mettre un revolver dans votre poche ou dans votre étui quand vous sortez de chez vous augmente vos risques d’être assassiné. L’idée est évidemment absurde, comme si la capacité secrète de se défendre augmentait le risque d’être attaqué et vaincu.
De toute manière, il s’agit seulement que l’autodéfense avec une arme soit à l’occasion couronnée de succès pour exercer un effet de dissuasion sur les agresseurs en puissance. L’économiste David Friedman donne une illustration qu’il faut la peine de citer au long :
Supposons qu’une vieille dame sur dix porte une arme. Supposons que, de celles qui portent une arme, seulement une sur dix réussit à abattre le bandit qui veut la voler sous la menace d’une arme – au lieu d’être tué par lui ou de se tirer dans le pied. En moyenne, dans ce cas de figure, il est beaucoup plus probable que ce soit le voleur plutôt que la vielle dame qui gagne la confrontation. Mais il demeure qu’en moyenne, chaque 100 vols avec violence se solde par un voleur mort. Avec ce risque, le vol n’est pas une bonne affaire car la plupart des vieilles dames n’ont pas assez d’argent sur elles pour justifier une chance sur cent d’être tué. Le nombre de voleurs diminuerait dramatiquement non pas parce qu’ils ont été tués mais parce qu’ils se sont rationnellement réfugiés dans d’autres occupations[30].
L’importance de la dissuasion dans la répression du crime est démontrée par l’existence même de la police et du système judiciaire. Car leur rôle consiste bien davantage à dissuader les criminels en leur promettant de les retrouver et de les punir, que de protéger les victimes en intervenant avant l’accomplissement d’un crime. Il a tout à fait tort le partisan américain du contrôle des armes qui s’opposait à la possession des armes pour la protection du foyer parce que, disait-il, « c’est pour cela que nous avons la police »[31]. C’est seulement en de très rares occasions que les policiers jouent le rôle de garde-du-corps des simples citoyens ; ils arrivent presque toujours après que le crime ait été commis. Ainsi, les simples citoyens qui portent des armes cachées produisent le bien public de la dissuasion à l’avantage de leurs concitoyens pacifiques, y compris à l’avantage de ceux qui choisissent de ne pas porter d’arme.
Si la disponibilité et le port d’armes par d’honnêtes citoyens dissuadent les criminels et empêchent certains crimes, il est d’autant plus possible qu’il en résulte une réduction nette de la criminalité, même si l’accès plus facile des criminels aux armes pourrait, à lui seul, entraîner une augmentation brute des crimes. Inversement, le contrôle des armes à feu, en empêchant les honnêtes citoyens de se défendre davantage qu’il ne restreint l’accès des criminels aux armes, augmente la criminalité. Les travaux de John Lott ont fourni une confirmation empirique de cette thèse. En comparant à l’aide d’un modèle économétrique les données américaines, de 1977 à 1992, entre les régions où le port d’armes cachées avait été libéralisé et celui où il était toujours interdit, Lott estime que la libéralisation a réduit le nombre annuel de meurtres de 7,7%, les viols de 5,3%, et les autres agressions violentes de 7%. Lott estime que si, sur cette période de 15 ans, tous les états américains avaient bénéficié de la même libéralisation, 1500 morts et 4000 viols auraient été évités[32].
Ceux qui soutiennent que le droit de porter des armes augmenterait le nombre d’homicides se fondent sur une théorie qui consiste à compter les cadavres pour déterminer la meilleure politique publique. Même si l’interdiction des armes risque d’empêcher un petit nombre d’individus de se défendre, va le raisonnement, ces cadavres sont plus que compensés par la réduction des cadavres de ceux qui auraient autrement été agressés par des criminels armés. Le problème est que, si l’on veut ainsi compter les cadavres, il faut prendre bien soin de tous les compter. Il faut compter, au passif du contrôle des armes à feu, les cadavres causés par la dissuasion réduite des criminels, qui craignent moins de faire face à une victime armée et, donc, commettront davantage de crimes. Si on prend bien soin de compter tous les cadavres, on en trouve davantage du côté du contrôle des armes à feu : c’est ce que John Lott entend démontrer.
4 Armes et massacres
Si l’évolution de la criminalité offre un portrait contrasté, il semble bien, par contre, qu’une sorte de crime s’inscrive nettement en hausse depuis quelques décennies : les massacres, commis parfois contre des inconnus, parfois contre des confrères de travail ou de classe. Comment se fait-il que ces massacres, visant souvent des enfants, se soient répandus non seulement aux États-Unis mais aussi au Canada et dans des États Providence européens[33]? Les crimes gratuits, qui ne confèrent à leur auteur aucun avantage matériel immédiat, ne sont pas nouveaux. En 356 avant Jésus-Christ, le temple d’Arthémis fut incendié par Érostrate, qui voulait ainsi passer à l’histoire – et qui a réussi. Les guerres tribales en Afrique provoquent souvent des massacres. Mais le phénomène contemporain qui nous intéresse ici est différent : l’assassin ne vise qu’à tuer le plus possible de personnes sans défense, souvent dans des établissements d’éducation, pour ensuite se suicider. Qu’est-ce que notre époque a de spécial pour rendre ce phénomène possible ?
Une première raison réside peut-être dans les possibilités que les déséquilibrés ont acquises de nos jours. Autrefois, un fou dangereux avait moins de chances de survivre longtemps ou, à tout le moins, d’être en mesure d’acquérir les ressources nécessaires pour perpétrer un massacre : une arme, une automobile, etc. Certes, les armes à feu sont plus efficaces pour l’auteur d’un massacre, mais elles seraient également plus efficaces pour le stopper. Le professeur John Lott note que, aux États-Unis comme ailleurs, le massacre typique se produit à un endroit où personne ne peut légalement porter une arme – par exemple, dans un gun-free zone, comme le sont toutes les écoles américaines depuis une loi de 1995 et pratiquement tous les établissements d’enseignement supérieur dans ce pays[34]. Le fou peut ainsi, à la Érostrate, faire le plus de dommage possible avant de se suicider, comme s’il quittait un jeu vidéo. Ces deux facteurs – les opportunités offertes aux déséquilibrés et l’interdiction faite aux citoyens de se défendre contre eux au besoin – expliquent certainement une partie du problème des massacres.
L’efficacité de la légitime défense contre les massacres a été démontrée le 9 décembre : un tueur qui attaquait une église bondée à Colorado Springs aux États-Unis fut abattu par un vigile armé après avoir tué ses deux premières victimes[35]. On aura beau dire que Jeanne Assam, la femme qui a ainsi stoppé le massacre, est un ancien policier, il reste qu’elle était, ce dimanche-là, vigile bénévole dans l’église qu’elle fréquente. Le tueur n’aurait trouvé personne sur son chemin si Mme Assam n’avait pu obtenir un port d’armes comme simple citoyenne ou si les églises, comme les écoles, étaient interdites aux citoyens armés. Et ceux qui objectent que l’efficacité de Mme Assam vient de ce qu’elle avait vraisemblablement déjà reçu une formation au tir de combat devraient admettre que n’importe quel citoyen ainsi formé ait le droit de porter une arme – idée que les opposants du droit de porter des armes rejettent. Notez bien que je ne prône pas une formation obligatoire pour qu’un individu exerce son droit de porter des armes car, quand l’État met le pied dans la porte, on doit s’attendre à des prohibitions croissantes. Il n’y a rien de parfait, mais l’État l’est encore moins que la liberté.
Non seulement les massacres visent-ils souvent des jeunes, voire des enfants (comme à Nickel Mines, Pennsylvanie, en 2006), mais ils sont aussi fréquemment commis par des adolescents ou de jeunes hommes. De manière plus générale, la criminalité des jeunes semble à la hausse. Le magazine The Economist note que les adolescents anglais non seulement ont non seulement inventé le happy slapping, mais qu’ils portent plus souvent un couteau et commettre plus d’actes violents, souvent contre d’autres jeunes, et que mêmes les filles semblent plus portées vers la violence ; les adultes qui interviennent sont souvent attaqués[36].
5 Des causes communes
Que l’on accepte ou non que la criminalité actuelle soit encouragée par la suppression ou l’atténuation, selon la région ou le pays, du droit de porter des armes, il semble que des phénomènes plus profonds soient en cause. C’est une banalité que de parler du déclin de la morale, au sens de principes relativement intouchables que les individus adoptent comme guides de leur comportement envers autrui, mais cette banalité n’en correspond pas moins à la réalité. On dirait que l’individu ne fait face, dans ses relations avec les autres, à aucune autre contrainte que les représailles légales éventuelles, lesquelles perdent leur sens s’il a, de toute manière, l’intention de se suicider. On échappe difficilement à l’idée que ce déclin de la morale joue un rôle dans la montée des massacres. Peut-être le déclin de la culture générale représente-t-il une autre face du déclin de la morale, mais c’est une question qui nous entraînerait trop loin.
La morale que nous avions apprise n’était pas seulement une affaire de respect des autres, mais aussi une question de respect de soi, de dignité personnelle. Cette dignité personnelle était ancrée dans un sentiment d’autonomie personnelle, de liberté individuelle. Nous étions des hommes libres et non des esclaves. D’ailleurs, le droit de porter des armes a toujours distingué l’homme libre de l’esclave. On revient au droit de porter des armes, dont la valeur symbolique est au moins aussi importante que l’utilité pratique.
Le poète latin Lucain a écrit : « Ignorantque datos, ne quisquis serviat, enses » [37] – « Et ils ignorent que les épées sont données afin que personne ne soit esclave. » L’épisode raconté par Lucain concernent des soldats romains qui préfèrent se suicider avec leurs épées plutôt que de tomber aux mains de l’ennemi. On rationalise parfois le contrôle des armes à feu par la nécessité de limiter les suicides, comme si un homme libre ne pouvait disposer de sa vie comme il l’entend. De plus, l’analyse ne montre aucune corrélation entre les suicides et la disponibilité des armes à feu, puisque plusieurs moyens peuvent être substitués à celles-ci pour se suicider[38].
Revenons à l’esclavage. La tyrannie, qu’elle soit étrangère ou locale, n’est que l’une des formes de l’esclavage. On a de bonnes raisons de croire que le droit de porter des armes rend la dérive tyrannique moins probable parce que plus coûteuse pour le tyran en puissance, ses agents et ses complices. Ce n’est pas pour rien que tous les tyrans s’assurent de désarmer leurs sujets, quand ce service ne leur a pas été rendu par les occupants antérieurs du pouvoir. Les Cambodgiens auraient vraisemblablement pu résister aux Khmer Rouges si l’occupant français n’avait commencé à les désarmer avant que le régime khmer ne complète le désarmement et ne commence le génocide[39]. Le tyran nazi aurait dû supporter des risques et des coûts plus élevés si les citoyens allemands n’avaient été désarmés par les lois de Weimar de 1919 et de 1928, ainsi que par la loi nazi de 1938[40]. L’occupant allemand aurait eu plus de difficulté à contrôler les Français sans la législation de 1935 et de 1939, puis l’interdiction de toutes les armes par le régime de Vichy et à la confiscation de celles qui avaient auparavant déclarées[41]. On pourrait multiplier les exemples. Quant à l’argument voulant que la tyrannie ne puisse jamais s’établir dans nos pays, Dan Polsby et Don Kates notent, dans leur article sur les génocides et le contrôle des armes, que bien peu de gens auraient, en 1900, prévu que cela arriverait en Allemagne, « la patrie de la musique, de la philosophie, des mathématiques, de l’hygiène publique, de l’écologisme, de la culture physique, de la sécurité sociale et de la règle de droit »[42].
L’idée du droit de porter des armes comme moyen de contrecarrer une tyrannie domestique éventuelle n’est pas seulement réaliste, elle traduit également l’esprit de résistance qui accompagne nécessairement la notion de dignité individuelle. Même s’il était vrai que le droit de porter des armes accroît la criminalité ordinaire, la tyrannie présente des dangers sans commune mesure avec les crimes de droit commun. Le professeur Rudolph Rummel de l’Université d’Hawaï a calculé qu’au cours du 20e siècle, excluant les guerres étrangères, 262 millions de personnes ont été tuées par leur propre État, de l’Union Soviétique à la Chine en passant par l’Allemagne nazi, le Cambodge, la Turquie, etc.[43]. Il s’agit de 2,6 millions de morts par année, à côté de quoi pâlissent les 7000 homicides par année dans l’Union Européenne[44] et les 17 000 par année aux États-Unis[45].
Résister à un tyran disposant d’armes modernes et des moyens de surveillance et de contrôle que la technologie permet maintenant ne serait pas une partie de plaisir. Mais, répétons-le, l’éventualité de la résistance augmenterait le coût de l’entreprise tyrannique, et réduirait les avantages nets de celle-ci ; elle en réduirait par conséquent la probabilité. Quoi qu’il en soit, le simple fait que l’éventualité de la tyrannie ne soit plus envisagée relève d’une dangereuse naïveté, si ce n’est de l’incapacité d’en considérer la nécessité morale.
Mais on n’a pas besoin de faire intervenir l’éventualité de résister à la tyrannie pour constater la sorte de désarmement moral dont souffrent nos contemporains. Le refus de la légitime défense contre les criminels de droit commun l’atteste bien assez.
Il n’est pas question de prêcher le droit de se faire justice à soi-même, mais bien le droit d’un individu de se défendre contre une agression imminente ou en cours si l’État n’est pas là pour le protéger. Si l’individu n’a pas ce droit, on se demande bien quel droit il peut prétendre détenir, à part les privilèges qui lui sont, pour un temps, concédés par l’État. Or, il semble qu’une partie importante de la population ou, en tout cas, de l’intelligentsia ne croit plus au droit d’auto-défense. Déjà en 1972, un éditorial du Washington Post décrivait le « besoin d’autodéfense que certains propriétaires de maison et de boutique croient avoir » comme appartenant « aux pires instincts de l’homme »[46]. Quelques années plus tard, l’Église méthodiste américaine déclarait qu’une femme doit considérer son violeur comme un frère dont il faut assurer la sécurité[47]. Et même si le droit de légitime défense demeure généralement reconnu par la loi, nous sommes de plus en plus privés des moyens de l’exercer[48].
L’histoire de l’ex-agriculteur anglais Tony Martin illustre la suppression de la légitime défense, déjà consommée au Royaume-Uni. M. Martin, qui vivait dans une maison de ferme isolée près d’un village sans commissariat de police, avait été plusieurs fois cambriolé. Une nuit du mois d’août 1999, il est réveillé par un bruit de verre cassée et trouve deux cambrioleurs dans sa maison ; il en tue un avec son fusil de chasse et blesse l’autre. Les deux individus avaient des casiers judiciaires, bien que celui tué par Martin ne fût âgé que de 16 ans ; le cambrioleur blessé avait 29 ans. Condamné, Martin a passé près de quatre ans en prison pour son prétendu crime, soit plus de temps que le cambrioleur survivant. En fait, Martin a dû purger une plus longue partie de sa peine parce qu’il ne montrait aucune contrition pour ses actions[49]. On ne se surprend pas que les jeunes truands ne craignent pas la résistance de leurs victimes.
Au Canada, on a maintenant la situation absurde où les transferts d’argent sont protégés par des convoyeurs de fonds armés, ce qui exerce évidemment un effet dissuasif sur les voleurs en puissance, alors que l’État interdit les vigiles armés pour protéger des vies, par exemple dans les écoles. Sans compter l’interdiction faite à chacun de se protéger lui-même, ou de protéger autrui, en portant une arme. Pour ajouter l’injure à l’insulte, les dignitaires politiques bénéficient de gardes-du-corps lourdement armés.
Il est faux de dire qu’une arme à feu, notamment un revolver, ne sert qu’à tuer. Car, si c’était vrai, les policiers n’en porteraient pas puisque, jusqu’à nouvel ordre, ils n’ont pas de permis de tuer. Sauf entre les mains d’un criminel, une arme à feu sert à protéger la liberté et la dignité individuelles. Il arrive simplement qu’en voulant stopper celui qui les viole, on le tue parfois.
Y a-t-il un nom pour l’ensemble des facteurs qui ont simultanément nourri certaines formes de crime, notamment les massacres, et encouragé la négation du droit d’auto-défense et du droit de porter des armes ? Je crois que oui : il s’agit de l’écrasement de l’individu par un État de plus en plus puissant. On imagine aujourd’hui que la dignité de l’individu lui vient entièrement du groupe politique dont il fait partie. Le bien et le mal sont définis par l’État et l’individu doit se soumettre à la force qui tient lieu de morale, dans des domaines qui vont du droit de fumer dans les commerces privés à la liberté d’expression, soumise à des restrictions croissantes, en passant par l’auto-défense et le droit le porter des armes.
6 Une pente dangereuse
Nous sommes sur une pente bien dangereuse. On en est arrivé à une conception statistique du crime, où toute cause présumée d’une certaine catégorie de crimes doit être contrôlée sanas égard aux inconvénients imposés à des individus qui n’ont commis aucun crime. Les actes de n’importe quel fou remettent en cause nos libertés. Au lieu de sanctions après le fait, comme le veut la règle de droit, on impose des contrôles préalables. Au lieu de punir le meurtre, on contrôle les individus statistiquement susceptibles d’en commettre. Pour le moment, cette approche condamne les armes et leurs propriétaires. Quelle autre minorité sera frappée dans l’avenir ? Va-t-on placer en détention préventive des individus qui ont le malheur de faire partie de groupes plus susceptibles de commettre des crimes ? Cette dérive est porteuse de bien des injustices.
J’ai laissé entendre, dans l’introduction de cet article, que l’on peut défendre le droit de posséder des armes sans aller jusqu’à appuyer le droit d’en porter. Si la distinction est valable en logique pure, elle ne l’est plus quand on prend en considération la logique des institutions humaines. Si on permet à l’État de réglementer le port d’armes, la réglementation va s’étendre jusqu’à anéantir ce droit et à miner le simple droit de posséder des armes. Quand l’État met le pied dans la porte, on entend bientôt des bruits de bottes dans le salon. On ne pourra rétablir durablement nos libertés traditionnelles dans ce domaine sans nier le droit de contrôle de l’État.
À qui le crime profite-t-il ? Cette question suggère que si on trouve celui à qui un crime bénéficie, on a sans doute trouvé son auteur. La question est également valable dans le cas qui nous occupe. À qui profite le crime qui consiste à dépouiller les individus de leur dignité, de leur droit de légitime défense et de leur droit de porter des armes ? Ce crime profite surtout à l’État, c’est-à-dire à ceux, politiciens et bureaucrates et leurs clientèles privilégiées, qui ont intérêt à accroître le pouvoir de l’État au prix de nos libertés.